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Si l'on gardait ! Poème de Charles Vildrac

Si l’on gardait
« Si l’on gardait depuis des temps des temps
Si l’on gardait souples et odorants
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes
Tous les cheveux blonds tous les cheveux blancs
Crinières de nuit toisons de safran
Et les cheveux couleurs de feuilles mortes
Si on les gardait depuis bien longtemps
Noués bout à bout pour tisser des voiles
Qui vont sur la mer
Il y aurait tant et tant sur la mer
Tant de cheveux roux tant de cheveux clairs
Et tant de cheveux de nuit sans étoiles
Il y aurait tant de joyeuses voiles
Luisant au soleil bombant sous le vent
Que les oiseaux gris qui vont sur la mer
Que ces grands oiseaux sentiraient souvent
Se poser sur eux
Les baisers partis de tous ces cheveux
Baiser qu’on sema sur tous ces cheveux
Et puis en allés parmi le grand vent ...
Si l’on gardait depuis des temps des temps
Si l’on gardait souples et odorants
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes
Tous les cheveux blonds tous les cheveux blancs
Crinières de nuit toisons de safran
Et les cheveux couleurs de feuilles mortes
Si on les gardait depuis bien longtemps
Noués bout à bout pour tordre des cordes
Afin d’attacher à de gros anneaux
Tous les prisonniers
Et qu’on leur permit de se promener
Au bout de leur corde
Les liens des cheveux seraient longs si longs
Qu’en les déroulant au seuil des prisons
Tous les prisonniers tous les prisonniers
Pourraient s’en aller jusqu’à leur maison … »
Charles Vildrac (1882-1971), Livre d’amour
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